Que nous raconte l’étude des sédiments d’un lac ?
Article tiré de « Le tour des grands lacs en 80 questions »
Par Philippe Jenny, Université Savoie-Mont-Blanc, EDYTEM et Jean-Luc Loizeau, Université de Genève, Institut Forel
L’analyse des longues séries de données (plus de 50 ans) peut expliquer les trajectoires d’évolution des systèmes lacustres et défnir certaines conditions environnementales passées. Les archives sédimentaires permettent de reconstituer l’histoire des lacs sur le long terme (de 100 à 10000 ans).
Qu’est-ce qu’une archive sédimentaire ?
Les sédiments lacustres sont formés de l’accumulation et de la transformation de particules issues du bassin versant [1] (particules liées à l’érosion) ou produites dans la colonne d’eau [2] (particules de matière organique, dites autochtones). Le lac du Bourget a ainsi accumulé plus de 200 m de sédiments depuis le dernier retrait glaciaire et livre une histoire longue d’au moins 10000 ans : c’est ce que l’on appelle une « archive sédimentaire ». Les sédiments lacustres sont exceptionnels car, dans certaines conditions (grande profondeur d’eau, stabilité des sédiments…), ils peuvent constituer une archive continue.
Grâce à la proximité des sources sédimentaires (bassin versant), les archives lacustres présentent des taux de sédimentation élevés (1000 fois plus qu’en milieu marin !) permettant des reconstitutions précises. Les varves, strates de sédiments déposées à un rythme annuel, constituent un bel exemple de ce type d’archive (fg. 1) et sont présentes dans les lacs du Bourget, d’Annecy et du Léman.
Quelles informations peut-on extraire de ces sédiments ?
- Les sédiments enregistrent à la fois l’évolution du bassin versant et le fonctionnement du lac lui-même.
- L’étude des fossiles, des pigments d’algues ou l’analyse d’ADN, permet de déterminer les espèces passées et de reconstituer leurs assemblages, qui renseignent sur les conditions écologiques antérieures du lac.
- L’analyse des matériaux provenant du bassin versant permet de reconstituer l’évolution du paysage végétal autour du lac par l’étude des pollens, du régime des crues ou celui des apports de contaminants.
Ainsi, nous savons que les lacs du Bourget, d’Annecy et le Léman, ont connu de fortes modifications depuis environ deux siècles (avec une accélération depuis 50 ans), de leurs propriétés physicochimiques et écologiques.
Ces perturbations résultent principalement de l’activité humaine : aménagement des cours d’eau et du paysage, rejets de nutriments (eutrophisation [3]) et autres pollutions (cas du mercure dans certains sédiments du Léman), introduction de poissons, réchauffement climatique (voir question 8-03 : Les lacs sont-ils menacés par le changement climatique ? ; question 8-06 : L’évolution de l’occupation des bassins versants peut-elle changer l’état des lacs ?).
Les analyses des sédiments révèlent une augmentation progressive depuis le début du xxe siècle de la production de matière organique liée à la prolifération d’algues. Les fossiles indiquent des changements progressifs dans les assemblages d’espèces planctoniques (diatomées, cladocères). La géochimie des archives indique que, depuis 60 ans, le fond des lacs s’est appauvri en oxygène. Ce changement a ainsi conduit à la disparition partielle des larves de chironomes (cousin du moustique) des sédiments. Les espèces de la zone pélagique (zone littorale) indiquent une meilleure qualité du milieu.
Comment dater les sédiments ?
Pour avoir des observations exploitables, les sédiments lacustres doivent être datés. Deux méthodes sont utilisées : la détermination de l’âge des sédiments par mesure de la décroissance d’activité d’éléments radioactifs et l’identification dans le sédiment d’un événement dont on connaît l’origine et la date. La mesure d’éléments radioactifs reste la plus utilisée, avec le carbone 14 comme élément le plus connu.
D’autres éléments naturels comme le plomb 210 permettent de dater les sédiments déposés au cours du dernier siècle (fg. 2). D’autres marqueurs sont également utilisés, comme l’apparition de pollen de marronnier dans la région du lac du Bourget (vers 1850) ou les cendres volcaniques provenant de l’éruption il y a 11000 ans du Laachersee (Allemagne) et retrouvées dans les sédiments du Léman.
Ce qu’il faut retenir
Chaque strate de sédiment a acquis une signature biogéochimique unique lors de sa formation. Celle-ci renseigne sur les conditions passées et rend possible la reconstitution des trajectoires environnementales du lac et de son bassin versant sur le long terme. Ce regard vers le passé permet d’estimer l’ampleur des changements actuels et d’évaluer la véritable part d’implication des facteurs de forçages environnementaux : le climat, l’érosion des bassins versants, la teneur en nutriments.
[1] Bassin versant : Ensemble d’un territoire drainé par un cours d’eau et ses affluents, délimité par une ligne de relief ou de partage des eaux.
[2] Colonne d’eau : Représentation verticale du volume d’eau, compris entre les interfaces eau/sédiments et eau/atmosphère.
[3] Eutrophisation : Enrichissement excessif du milieu aquatique en nutriments qui se traduit par l’envahissement de l’eau par une production végétale surabondante.