Article trouvé dans le Dauphiné Libéré, édition papier, du 26 août 2017.
ANNECY (74)/LAC DU BOURGET 1 La ligue pour la protection des oiseaux effectue chaque année un recensement des populations d’oiseaux
Moins de cygnes, est-ce mauvais signe ?
Grand oiseau majestueux, le cygne fascine l’homme depuis des siècles. Les historiens assurent même que le volatile au long cou aurait fait son apparition à la cour d’Angleterre dès le XV’ siècle.
Au XIX« siècle, alors que de nombreux territoires français se lancent chacun dans la construction d’un imaginaire local, sortes de grands »plans marketing" avant l’heure, la ville d’Annecy (Haute-Savoie) adopte, au sens propre comme au figuré, le cygne comme emblème. Un choix toujours visible aujourd’hui, par exemple, sur le logo de l’office de tourisme ou encore sur le nom donné à l’une des embarcations stars de la Compagnie des bateaux du lac d’Annecy.
Une fuite vers des horizons plus attrayants
Pourtant, si le cygne est bien souvent considéré par les arts comme un symbole d’amour, le divorce semble consommé avec ce lac qui se dit pourtant « le plus pur d’Europe ».
En cause, l’explosion démographique du secteur annécien et son corollaire, l’urbanisation galopante des rives, depuis plusieurs décennies qui pousse le plus noble des palmipèdes à chercher si l’herbe, dont il est friand, ne serait pas plus verte ailleurs (lire ci-contre).
Alors la défense des cygnes sera-t-elle plus forte que les intérêts touristiques et immobiliers ? Seul l’avenir le dira. Mais une chose est sûre, les efforts devront être conséquents si Annecy souhaite préserver la présence de son oiseau emblématique sur son territoire.
Bruno CICCIU
Un animal venu du froid de l’Europe du Nord
De nombreuses espèces de cygnes peuplent la planète, dans leur grande majorité dans les zones tempérées. Le cygne commun en France, et à Annecy, est le cygne tuberculé. Originaire d’Europe du Nord, il a été introduit et acclimaté à de plus basses latitudes.
Utilisé depuis plusieurs siècles dans de nombreux pays comme oiseau d’ornement des plans d’eau, on doit sa présence à Annecy à deux cadeaux reçus par la ville : le premier en 1857 par les voisins genevois, le second en 1858 par la Maison de Savoie à Turin.
À chaque fois, ce sont deux couples de cygnes qui ont été offerts en guise de geste amical, et qui ont fini par engendrer la population connue depuis aux abords du lac. Avec un coup de pouce dû à un hasard de l’histoire. En effet, en 1854, des travaux de dragage du Thiou sont réalisés. Avec les sédiments récoltés lors de l’opération, une île artificielle est créée, qui est à ce jour la seule du lac d’Annecy. Un petit havre de paix pour les blancs volatiles qui ont tout de suite adopté ce petit espace de 30 mètres de diamètre, densément végétalisé. « L’île aux cygnes » était née.
Si les palmipèdes y trouvent quelques raisons de la fréquenter, notamment pour y trouver de la nourriture, celle-ci n’est pas pour autant un havre de paix, étant également fréquentée par les rats, qui peuvent s’attaquer aux œufs, et par le public, qui brave parfois l’interdiction d’y pénétrer.
S’ils peuvent être observés depuis les Jardins de l’Europe, la meilleure solution pour les admirer reste de louer un pédalo pour s’en approcher, tout en respectant leur quiétude.
TROIS QUESTIONS A •••
Daniel Ducruet Secrétaire général de la ligue pour la protection des oiseaux (LPO)
« Nous sommes passés de cent à quarante cygnes en vingt ans »
•• Quel est l’état des lieux de la population de cygnes au lac d’Annecy ?
« On constate une forte érosion démographique depuis vingt ans. A l’époque, les recensements hivernaux faisaient état d’au minimum cent cygnes sur le lac et le Thiou. Un chiffre resté constant pendant des années. Aujourd’hui, nous sommes tombés à une petite quarantaine. Pourtant, d’autres espèces se portent bien, comme le harle bièvre ou la nette rousse. Le cygne, quant à lui, se porte très bien dans d’autres endroits du département, sur le Léman, où la population est stable, ou le long du Rhône, où elle progresse. »
•• Quels sont les problèmes qu’ils rencontrent ?
« La baisse de population est due à un exode de cygnes, qui ne trouvent plus les conditions optimales pour leur survie sur le lac. A l’inverse, on ne constate aucun nouvel arrivant car les cygnes qui s’aventurent par ici comprennent que les lieux sont moins adaptés qu’ailleurs et repartent vite.
Les facteurs qui rendent le lac inadapté sont nombreux : sa profondeur empêche souvent ces oiseaux, à 90 % herbivores, de manger les végétaux immergés, tout comme l’urbanisation des rives, qui a fortement raréfié les zones de pâture et les lieux pour nicher. Il y a également le problème de la cascade du Thiou, qui emporte les jeunes en aval du cours d’eau dans une zone encore moins propice à leur survie, sans possibilité de remonter vers le lac ... »
•• Quelles solutions préconisez-vous ?
« Elles consisteraient à aménager des aires de quiétude artificielles, à l’image de l’île aux cygnes, pour la nidification. Il faudrait également laisser le lac et les cours d’eau respirer davantage. Malheureusement, toutes les tentatives de ce type sont confrontées à l’opposition des usagers du lac. Enfin, concernant la cascade du Thiou, nous travaillons à des solutions avec les services techniques de la ville d’Annecy, avec qui nous avons de très bonnes relations »
Propos recueillis par B.C.
Au lac du Bourget, on compte une cinquantaine de cygnes contre 150 dans les années 2000
Dans les années 1950, plusieurs couples de cygnes ont été artificiellement introduits sur le lac du Bourget. La population de volatiles s’est alors étoffée pour atteindre quelque 150 oiseaux dans les années 2000. Une augmentation due essentiellement à un nourrissage à base de pains et autres viennoiseries par les locaux et les touristes », explique André Miquet, responsable scientifique au Conservatoire d’espace naturel de la Savoie.
« Parmi les mesures prises .ces dernières années pour lutter contre la dermatite des nageurs ou puce de canard, l’interdiction de nourrissage a eu pour conséquence une baisse sensible du nombre de cygnes avec plus de mortalité parmi les jeunes et une moindre reproduction. À ce jour, on peut estimer qu’il reste moins d’une cinquantaine de volatiles que l’on retrouve à hauteur des plages, des restaurants, des lieux de promenades les plus fréquentés ... et pour quelques couples dans les roselières », poursuit-il.
Pour cet acteur en charge de l’étude et de la préservation de la biodiversité, cette tendance à la baisse n’est pas un réel enjeu en termes de biodiversité pour le lac. En tant que scientifique, il voit plutôt d’un bon œil une diminution de la population, la rendant plus conforme à la capacité naturelle d’accueil du lac. « Le cygne a des impacts pas forcément bénéfiques sur la végétation. Il est à l’origine de micro-atteintes sur les herbiers et dans les roselières (casse, piétinement ...) et c’est un oiseau souvent agressif envers les autres espèces », complète André Miquet.
G.J.