Les lacs sont-ils toujours menacés par le phosphore ?

Les lacs sont-ils toujours menacés par le phosphore ?

Article tiré du « Le tour des grands lacs alpins naturels en 80 questions »

Jean-Marcel Dorioz, INRA CARRTEL - Michel Lafforgue, SAFEGE - Dominique Trévisan, INRA CARRTEL

L’eutrophisation est une pollution des plans d’eau par le phosphore. Cette menace a pesé sur les lacs alpins dans les années 1960 à 1990. Les actions entreprises semblent les avoir tirés d’affaire. Sont-ils à l’abri d’une rechute ?

Le phosphore : un élément clé de la dynamique des lacs

Un lac ayant une charge modérée en phosphore est oligotrophe, la quantité d’algues (biomasse) produite est faible. Les lacs eutrophes, trop nourris en phosphore, produisent une biomasse algale importante qui désorganise l’écosystème dans son ensemble. Les fonctions du lac (production piscicole, recyclage) et ses usages (alimentation en eau potable, pêche, baignade) peuvent alors être perturbés. Le phosphore provient en général du bassin versant. Les flux transférés sont largement dopés par la croissance des activités humaines.

Des lacs en convalescence

Les lacs alpins, excepté le lac d’Aiguebelette, sont passés d’un état oligotrophe à des états plus ou moins eutrophes, à partir des années 1950 avec un pic d’eutrophisation dans les années 1980. L’augmentation des rejets d’eaux usées domestiques, elle-même conséquence de l’urbanisation, de l’accroissement de la population et de l’usage de lessives avec phosphates, est la cause principale de cette évolution. Les flux diffus dus aux pertes des sols agricoles n’ont eu qu’un rôle secondaire.

Les mesures de maîtrise des flux de phosphore ont consisté à améliorer la collecte des effluents et leur traitement dans des stations d’épuration avant rejet, à interdire l’usage des phosphates dans les lessives (dès 1986 en Suisse, 2007 en France), à transférer une partie des rejets urbains traités à l’aval des lacs d’Annecy et du Bourget.

Les mesures drastiques (ceinturage du lac par un collecteur de tous rejets domestiques) et précoces (1962) prises pour Annecy ont permis d’obtenir des résultats rapides (« une ré-oligotrophisation [1] »). Pour le Léman et le lac du Bourget, les mesures ont été plus tardives (rejet des eaux usées traitées de Chambéry et Aix-les-Bains au Rhône, à l’aval du lac du Bourget, en 1980). Les améliorations ne se sont fait sentir que progressivement. La baisse obtenue entre 1990 et 2000 en matière de phosphore est spectaculaire, mais des pics de biomasse algale persistent. Les communautés biologiques ne reviennent pas à l’état souhaité et l’anoxie benthique [2] continue à se maintenir sur de longues périodes. L’écosystème lacustre est restauré mais il a changé. C’est un convalescent qui se trouve soumis aux effets du réchauffement climatique et à la pression des flux de phosphore résiduels (fig. 1).

Des flux de phosphore durablement stabilisés


Les flux totaux en phosphore entrant dans les grands lacs sont désormais stabilisés à un niveau plutôt faible.

  • La maîtrise des flux dus aux eaux usées semble assurée. Il persiste cependant un risque résiduel avec le développement du mitage périurbain qui accroît la proportion de rejets difficiles à contrôler car dispersés.
  • La situation est plus complexe pour les flux diffus.

Les flux de phosphore diffus agricole, sont très sensibles aux conditions d’écoulement des eaux de surface et aux pratiques culturales. La vigilance s’impose face à l’intensification relative de l’agriculture (photo 1) et à la simplification du parcellaire, du réseau hydrographique, qui accompagne le mitage des zones rurales proches des lacs. Il existe une tendance générale à l’accroissement des teneurs en phosphore des sols cultivés ; elle résulte du cumul, sur des années, de bilans excédentaires en phosphore des exploitations agricoles.

Il existe aussi des flux diffus urbains (photo 2) (voir question 3-04 : Quelle est la pression de l’urbanisation sur la qualité de l’eau des lacs ?), dont l’augmentation semble inexorable.

Des milieux qui restent vulnérables


Le risque de pollution massive étant écarté, la vulnérabilité au phosphore de nos systèmes lacustres résulte du couplage de facteurs de risque faibles agissant simultanément sur les lacs et leurs bassins versants. Le scénario d’une hausse modérée des transferts de phosphore due au renforcement des flux diffus et qui réactiverait l’eutrophisation de lacs sensibilisés par leurs passés et le réchauffement climatique, est plausible. Le phénomène clé induisant l’augmentation du diffus, pourrait être la conjonction entre des sols de plus en plus riches en phosphore et l’accroissement des connexions entre ces sols et les lacs du fait des aménagements du réseau hydrographique et de l’imperméabilisation des surfaces. Une telle situation aboutirait notamment à une augmentation des flux transférés en été, période favorable à la croissance algale.

D’autres changements pourraient amplifier ces dynamiques défavorables. C’est le cas de la désoxygénation partielle du fond devenue chronique du fait d’hivers moins froids et donc de brassage moins fréquents (voir question 1-04 : Quand les lacs se retournent-ils dans leur cuvette ?). Ce phénomène ouvre la porte à des libérations de phosphore piégé dans les sédiments.

Ce qu’il faut retenir

Les efforts réalisés ont permis de baisser les teneurs en phosphore et d’améliorer l’état trophique des lacs. Ce résultat est à consolider face à plusieurs risques de déstabilisation : tendance à l’accroissement des volumes d’eaux usées à traiter, d’apports diffus urbains, des stocks dans certains sols agricoles.

[1Ré-oligotrophisation Phénomène d’appauvrissement progressif d’un milieu en éléments nutritifs.

[2Anoxie benthique Absence d’oxygène pour les invertébrés vivant au fond des lacs.

Posté le 9 mars 2019 par administrateur