Un article d’actualité en ce 14 octobre 2018 marqué par une baisse historique du lac d’Annecy.
Le niveau des lacs peut-il un jour baisser par manque d’eau ?
Article tiré de « Le tour des grands lacs en 80 questions »
Par Agnès Barillier, EDF
Cette question peut sembler saugrenue, mais s’avère intéressante quand on la replace dans un contexte de changement climatique et d’augmentation de la demande pour différents usages de l’eau.
De quoi résulte le niveau des grands lacs alpins ?
Les niveaux des lacs résultent d’une régulation établie par des règles pour concilier les différents usages de l’eau, parfois antagonistes.
Dans le passé, les niveaux pouvaient varier naturellement assez fortement : jusqu’à 2 m pour le Léman et 3,5 m pour le lac du Bourget. Ces variations naturelles étaient liées à l’évolution saisonnière des régimes hydrologiques du bassin versant et, de manière directe, à celle du climat.
La régularisation de ces niveaux est intervenue :
- pour protéger les riverains du lac ou de leurs émissaires, contre les inondations, pour le Léman, les lacs du Bourget et d’Annecy, ce qui s’est traduit par une diminution de l’amplitude des marnages [1] ;
- pour développer un nouvel usage, comme l’hydroélectricité sur le lac d’Aiguebelette. Cela a induit le maintien d’un marnage saisonnier de 60 cm, dans la limite maximale annuelle de 2,15 m.
Le lac d’Annecy est ainsi contrôlé depuis 1874 par des vannes situées sur les canaux formant son exutoire. Sa cote habituelle varie dans la limite d’une dizaine de cm maximum autour d’un niveau de référence. Sans régulation, cette variation serait naturellement d’une cinquantaine de cm. Le remplacement des vannes sur le Thiou en 1965 a fortement réduit le marnage.
Le Léman est régularisé à Genève depuis 1884 par le barrage du pont de la Machine, remplacé en 1995 par le barrage du Seujet. Les niveaux régularisés maintiennent un marnage saisonnier de 70 cm ; les années bissextiles, la cote hivernale est abaissée de 15 cm supplémentaires pour permettre des travaux d’entretien sur les ouvrages. Le lac du Bourget est régulé sur 30 cm depuis 1982 par l’aménagement hydroélectrique du Haut-Rhône (photo 1). Si un des paramètres naturels (précipitations, évaporation nette, apports du bassin versant) du bilan hydrique évolue, sans modification des consignes de régulation, alors les niveaux des lacs pourraient changer (voir question 6-05 : Comment et pourquoi le niveau des lacs est-il régulé ?)
Des exemples récents de baisse de niveau des lacs
La baisse générale de l’hydrologie du bassin versant du lac d’Annecy (photo 2), environ -7% sur la dernière décennie, associée à des épisodes caniculaires estivaux accentuant l’évaporation, a provoqué deux épisodes exceptionnels de baisse du niveau pendant l’été 2003 (- 49 cm) et au cours de l’automne 2009 (- 38 cm), la régulation ne pouvant compenser le manque d’apports des affluents du lac.
Avec les prévisions d’évolution du climat dans les prochaines décennies, ces épisodes de réduction des apports hydriques et d’augmentation de l’évaporation pourront se multiplier, tout comme pourront s’accroître les prélèvements en eau pour les usages (eau potable sur le Léman et le lac d’Annecy ou production hydroélectrique sur le Rhône). Si les besoins des rivières et des usages à l’aval des lacs nécessitent le respect d’un Débit d’Objectif d’Étiage (DOE) permettant de garantir durant l’étiage [2] un bon état écologique de ces milieux, ainsi que l’alimentation en eau potable et les différents usages, alors les niveaux des lacs pourraient être amenés à baisser en période estivale. Ceci pourrait perturber certains usages du lac, comme la navigation ou la baignade (une baisse des niveaux découvre des fonds moins esthétiques). Pour le Léman, cependant, on pourra sans doute, même dans des hypothèses drastiques, assurer à la fois le niveau du lac et le DOE, en adaptant la gestion hebdomadaire et en limitant la rétention des barrages amont. Ces épisodes resteront saisonniers, l’augmentation des apports hydriques lors des crues d’automne ou au printemps permettant de remonter la cote des lacs. Ils nécessiteront cependant des adaptations des règles de conciliation des usages et des aménagements touristiques.
Ce qu’il faut retenir
Le changement climatique entraîne une réduction des apports hydriques des bassins versants et l’augmentation de l’évaporation nette. En parallèle, on constate une augmentation des prélèvements d’eau, pour l’eau potable ou la production hydroélectrique.
Ces phénomènes impliqueront dans les prochaines décennies une accentuation du marnage des lacs à l’échelle annuelle, avec un abaissement des cotes estivales de l’ordre de quelques cm à une dizaine de cm par rapport aux niveaux actuels.
[1] Marnage : Écart entre les hautes eaux (période de crue) et les basses eaux (étiage).
[2] Étiage : période de l’année où le niveau d’un lac atteint son point le plus bas.