L’évolution de l’occupation des bassins versants peut-elle changer l’état des lacs ?
Article tiré de « Le tour des grands lacs en 80 questions »
Par Jean-Marcel Dorioz et Dominique Trévisan, INRA CARRTEL
L’évolution du mode d’occupation des sols des bassins versants des grands lacs semble inexorable du fait de la croissance de la population. Cette dynamique aura-t-elle un impact sur la qualité des eaux produites par les bassins versants et sur l’état des lacs qui les reçoivent ? Une telle question suppose de s’interroger sur la relation entre mode d’occupation des sols et qualité des eaux.
Mode d’occupation des sols (MOS)
Le MOS représente la couverture biophysique d’un territoire géographique. En fonction des objets qui couvrent le sol, on distingue l’espace habité (MOS urbain, périurbain, rural), l’espace naturel (MOS forêt, marais…) et agricole
(MOS prairies, cultures…). Le MOS est un indicateur global des interactions entre activités humaines et eaux, dans un contexte climatique donné.
- Les MOS urbains sont toujours associés à des systèmes techniques d’utilisation et d’évacuation de l’eau (eau potable, assainissement, eaux pluviales), systèmes dont les performances sont cruciales pour la qualité de l’environnement.
- Les MOS agricoles sont associés à un cycle plus naturel de l’eau, dont certaines composantes, et notamment les conditions d’écoulement, sont partiellement contrôlées par le type d’agriculture et les pratiques associées (drainages, aménagements, travail du sol…).
Lors de son transit dans un bassin versant, l’eau acquiert une charge sédimentaire, chimique et polluante, qui conditionne l’impact du bassin sur son lac.
Cette charge varie selon les modalités de lessivage et d’érosion des sols, la nature des apports sur ceux-ci, les rejets d’eaux usées, soit selon un ensemble de caractéristiques reliées aux MOS. Le MOS est donc une expression assez synthétique des impacts potentiels d’un territoire sur l’eau.
Un coup d’œil rétrospectif
Sur les 50 dernières années, plusieurs vagues de pollutions affectant les grands lacs et associées à des évolutions du MOS de leurs bassins versants, se sont succédé. Les mesures correctives ont porté surtout sur les pollutions dues aux villes et aux industries : les rejets, puis les impacts ont été fortement réduits grâce à la mise en place de systèmes de collecte et de traitement performants des eaux usées (voir question 3-04 : Quelle est la pression de l’urbanisation sur la qualité de l’eau des lacs ?).
Du fait de l’inertie sociétale face aux problèmes posés et de la lenteur de réponse de l’écosystème lacustre, la dépollution des lacs s’est avérée longue et difficile. Ceci rappelle à quel point il est important de convaincre et de prendre des mesures correctives avant que les perturbations ne soient trop avancées (voir question 7-01 : Quels ont été les actes fondateurs de la protection des lacs ?).
L’extension inéluctable de l’urbanisation
Les lacs stimulent le développement local (photo 1), engendrant une extension des MOS urbains à leur périphérie, au détriment des MOS agricoles.
Les impacts de ce processus d’urbanisation peuvent être maîtrisés par :
- une modernisation permanente de la collecte et du traitement des eaux usées ;
- la mise en place de traitements des eaux rejetées par temps de pluie ;
- des actions de réduction à la source des rejets de polluants, y compris pendant la phase très perturbante des chantiers de construction.
Il s’agit en fait d’imposer des exigences de haute qualité environnementale dans le développement urbain, en relation avec la sensibilité exceptionnelle des lacs.
Le mitage de l’espace rural, un changement multirisque sous-estimé
Le mitage (morcellement) de l’espace rural accompagne le développement urbain. Il rajoute sur tout le territoire de nombreux rejets d’eaux usées, petits mais très dispersés et donc difficiles à contrôler. Il provoque aussi des modifications globales de l’utilisation agricole des sols et de l’hydrologie des bassins versants, effets indirects bien connus et qui entraînent :
- une baisse des capacités tampons hydrologiques du réseau hydrographique, avec pour conséquence une concentration des eaux de ruissellement, qui favorise l’érosion des terres agricoles et l’augmentation des flux estivaux de nutriments ;
- un accroissement des pollutions diffuses agricoles, du fait d’une tendance à la spécialisation des parcelles et à une concentration spatiale de certaines pratiques (photo 2).
Au-delà de certains seuils, le mitage de l’espace rural crée donc un ensemble de risques difficilement acceptables à terme dans des bassins versants de grands lacs. L’objectif devrait être, et c’est un objectif clé pour la qualité à venir des lacs, à la fois de maîtriser le mitage lui-même (densifier l’habitat) et de pallier ses effets négatifs sur l’hydrologie et les sources diffuses agricoles.
Les évolutions du MOS : vers une haute qualité environnementale ?
Les évolutions du MOS vont bien au-delà d’un changement de décor paysager. Elles matérialisent une intensification des activités, une multiplication des sources de pollution, des types de produits utilisés et mis en contact avec l’eau, enfin un remaniement du régime des crues. Les évolutions du MOS sont en conséquence à l’origine de nouveaux risques. Il existe notamment de forts risques d’accroissement des charges de pollutions diffuses.
Vu l’inertie du système, la prévention est une urgence ! Elle passe, à l’échelle locale, par la mise en place de politiques promouvant un développement urbain et rural de haute qualité environnementale, action à renforcer, à l’échelle nationale, par plus d’encadrement des produits domestiques et chimiques mis sur le marché.
Ce qu’il faut retenir
Les changements de MOS en cours dans les bassins versants sont susceptibles d’impacter les grands lacs. Pour minorer et prévenir ces impacts, il convient d’inciter à des changements de pratiques pour réduire à la source les polluants, de continuer sans cesse à moderniser les systèmes d’assainissement, de s’attaquer aux pollutions diffuses urbaines et agricoles en créant des procédures de qualité relatives aux évolutions des modes d’occupation des sols.