L’avion allemand du fond du lac
Article tiré de l’édition papier du Dauphiné Libéré du Samedi 12 octobre 2013, la photo est de Jean Marc BLACHE
Depuis plus de 70 ans, l’épave du Focke Wulf 58 C repose au fond du lac du Bourget en Savoie. Cet avion allemand de la Wehrmacht s’était abîmé dans le plus grand lac naturel de France, le 30 mars 1943, en pleine guerre mondiale. Aujourd’hui, la question de son renflouement se pose avec insistance.
C’est la plus légendaire épave du lac du Bourget. Seuls quelques plongeurs chevronnés peuvent l’approcher. Plantée dans la vase, à la verticale, la carcasse métallique du Focke Wulf 58 C repose dans les abymes du lac. À 112 mètres de profondeur exactement. Et ce depuis le 30 mars 1943. Cette date ne figure pas dans les manuels scolaires. Pourtant, elle évoque de nombreux souvenirs à bon nombre de Savoyards et de passionnés d’histoire.
À cette époque, les Allemands viennent d’envahir la zone libre. Par un jour de grand beau temps, un avion de la Wehrmacht décolle de l’aérodrome de Lyon-Bron pour un vol d’exercice. À son bord, quatre jeunes soldats allemands : deux pilotes instructeurs et deux élèves. Arrivé au-dessus du lac du Bourget par le nord, l’appareil pique du nez pour s’approcher au plus près de la surface de l’eau. Objectif : faire du rase-mottes pour se détendre ... Mais aussi pour effrayer les quelques pêcheurs paisiblement installés dans leur barque. Malheur en a pris. L’avion heurte le lac, C’est le crash. Erreur de pilotage ou problème technique ? Nul ne le sait avec certitude.
Sur les quatre membres de l’équipage, deux sont tués lors de l’accident. Les deux autres parviennent miraculeusement à surnager malgré une eau à 3 « C, Secourus par plu-sieurs pêcheurs de Conjux, ils sont ramenés sur la berge. Une vague de solidarité louable qui va pourtant semer le trouble au sein du petit village savoyard. Que faire de ces soldats allemands, dont l’état (blessures et hypothermie) ne permet pas un transport immédiat ? Faut-il héberger ces »ennemis« au risque d’être considérés comme des »collabos" ? Dur dilemme en cette période tourmentée.
Le 25 février 1988, l’équipe perçoit une forme à plus de 110 mètres
Malgré tout, une famille de Conjux passe au-delà des éventuels jugements et abrite sous son toit les rescapés, La solidarité plutôt que le désintérêt. La bienveillance plutôt que l’indifférence. Comme récompense, les Allemands proposent de l’argent. En réponse, les villageois demandent la libération de quatre prisonniers de guerre originaires de Conjux. Accord conclu !
Au fil des années, le souvenir de cet accident aurait pu disparaître à jamais dans les profondeurs des eaux du lac du Bourget. Mais c’était sans compter la curiosité de trois passionnés de plongée : Roger Pilloud, Alain Huck et Jean-Paul Mestres. Réunis au sein de l’association « Fahrenheit 32 », ils se lancent, en 1987, à la recherche de cette mystérieuse épave.
Une quête du Graal pour le moins compliquée : à l’époque, personne ne connaît précisément l’emplacement de l’avion. À tel point que certains se demandent s’il est bien présent dans les profondeurs ou s’il s’agit d’une légende ... Avion fantôme ou non ? Un mystère que le trio va lever après plusieurs mois de prospections. Leur acharnement est enfin récompensé : le 25 février 1988, l’équipe perçoit une forme à plus de 110 mètres de profondeur au large de Conjux. Pari gagné ! L’épave est sous leurs pieds.
En 2004 des plongeurs touchent enfin du doigt le légendaire avion
Après de nombreuses tentatives infructueuses, des premières images, sont réalisées à l’aide de robots téléguidés au début des années 90. Mais l’équipe préfère garder le secret. « De peur des pilleurs ou des plongeurs inconscients ne prennent d’assaut l’épave, précise Roger Pilloud, inventeur de l’épave. Cet avion, c’est un patrimoine historique inestimable ».
C’est seulement à l’automne 2004 qu’une équipe de plongeurs expérimentés touche enfin du doigt le légendaire avion. Un moment magique à jamais gravé dans les mémoi-res de Jean-Marc Blache, Jérôme Mazier et Marco Stroppa, les trois heureux plongeurs descendus au chevet du FW 5SC, Une épave aujourd’hui devenue l’un des spots de plongée les plus prisés de France.
Un musée de Berlin veut récupérer l’épave du Focke Wulf 58 C
L’avion sera-t-il renfloué un jour ? La question se pose avec insistance depuis plusieurs mois. Un musée de Berlin s’est en effet manifesté pour remonter l’épave et la ramener en Allemagne. Le projet devait même se concrétiser en 2013. Mais faute de financements, l’opération n’a pas été lancée. « II faudrait réunir entre 200 000 et 500 000 euros pour sortir l’avion » précise Anja Unger, la réalisatrice du documentaire « l’avion du lac ». Certains parlent de sommes plus importantes : 1 million d’euros, voire plus ... La technique à utiliser fait également débat. Car, si l’enveloppe de l’avion semble dans un bon état de conservation, sa structure métallique n’en est pas moins fragilisée après tant d’années sous l’eau. D’autant que l’avion est planté à la verticale, son nez et ses moteurs étant dans la vase jusqu’au cockpit. Certains sont favorables au renflouement pour éviter que l’épave ne se dégrade davantage. D’autres, dont de nombreux plongeurs, estiment que l’avion ne résisterait pas à une telle opération et que sa place doit rester dans le lac, tel un lieu de mémoire. Le débat est ouvert ...