Comment et pourquoi le niveau des lacs est-il régulé ?
Article tiré du « Le tour des grands lacs alpins naturels en 80 questions »
Renaud Jalinoux, CISALB - François Pasquini, État de Genève SILA
Avant d’être régulé, le niveau des lacs fluctuait au gré de la météo. La régulation est née d’une volonté de maîtriser les aléas climatiques – crues et sécheresses – et de tirer bénéfice du plan d’eau, à des fins touristiques ou énergétiques. Chaque régulation a son histoire, ses origines, ses consensus, recherchés pour satisfaire ses différents usages. Aujourd’hui, les impacts sont connus et certains lacs envisagent de modifier les consignes d’exploitation des ouvrages
Histoire et origine de la régulation des lacs
Le Léman
Instaurée en 1884 pour mettre fin à un différend séculaire entre divers usagers du lac, la régulation du Léman assure depuis plus de 100 ans le maintien des niveaux du lac dans des limites compatibles avec ses différents usages. La capacité du Rhône à Genève a été augmentée par dragage et élargissement, et un barrage a été construit. Le barrage du Seujet remplace depuis 1995 l’usine de la Coulouvrenière et le barrage du Pont de la Machine. La régulation assure l’équilibre entre les débits d’apports entrants dans le lac, ses niveaux et la capacité d’évacuation limitée du Rhône à Genève. L’abaissement hivernal permet de stocker sans dommage la crue de fonte estivale, dont les débits dépassent souvent la capacité du Rhône à Genève
Lac du Bourget
La question de la régulation du lac s’est posée lors de l’aménagement hydroélectrique du Haut-Rhône, à la fin des années 1970. En dérivant une partie importante du débit du Rhône vers l’usine de Belley, l’aménagement allait engendrer une baisse du niveau du Rhône au débouché du canal de Savières. Un barrage a été envisagé à cet endroit pour maintenir, en basses et moyennes eaux du fleuve, le niveau du lac du Bourget à une valeur acceptable. Les consignes d’exploitation du barrage de Savières datent de 1985.
Lac d’Annecy
Plus que le contrôle du niveau du lac, c’est d’abord la maîtrise du débit de son exutoire, le Thiou, qui a été recherchée. L’essor des villes d’Annecy et de Cran-Gevrier est étroitement lié à cette rivière et à sa force motrice, qui a permis le développement dès le xviiie siècle d’une industrie prospère (moulins, papeteries, manufactures, forges). Divers aménagements ont ainsi été édifiés sur le Thiou, influant plus ou moins le niveau du lac. En 1874, un système de barrages est réalisé. Les vannes ont été remplacées en 1965, telles qu’elles apparaissent aujourd’hui.
Lac d’Aiguebelette
Dès le début du xixe siècle, l’exploitation énergétique de l’eau du lac via son exutoire, le Thiers, a constitué un enjeu important pour le fonctionnement d’industries implantées sur La Bridoire. La question de la régulation des niveaux du lac, notamment pour maintenir un débit suffisant dans le Thiers, est devenue une source de contentieux entre les communes riveraines et les industriels. En 1909, avec la création d’un captage sur le Thiers pour alimenter la centrale hydroélectrique de La Bridoire, l’administration encadre les niveaux d’exploitation du lac avec un premier règlement d’eau. L’exploitation de la chute d’eau et de la centrale a été concédée à EDF en 1946.
Qui assure la régulation, quels sont les niveaux imposés et comment ça marche ?
Le Léman
C’est l’État de Genève qui est responsable, vis-à-vis de la Confédération et des cantons de Vaud et du Valais, des manœuvres de l’ouvrage de régulation du niveau du Léman au barrage de l’usine hydroélectrique du Seujet sur le Rhône, à Genève (photo 1). Les niveaux du lac sont imposés par un acte inter-cantonal (1984), qui fixe les niveaux minimums et maximums à 371,70 m et 372,30 m, et par un règlement (1997) sur la manœuvre du barrage, qui donne des niveaux cibles pour chaque période de l’année et qui précise l’exception des années bissextiles.
Le niveau maximal normal du lac se situe entre 372,15 et 372,30 m de juin à décembre, et le niveau minimal entre 371,60 à 371,75 m de mars à avril. Tous les quatre ans (années bissextiles), cette cote minimale est abaissée entre 371,45 et 371,60 m pour permettre les travaux d’entretien et de réfection des ouvrages situés au bord du lac. Lors de crues ou de fortes pluies, des fluctuations peuvent survenir et augmenter le niveau d’environ 30 cm. Depuis 1974, le maximum mesuré est de 372,60 m.
Lac du Bourget
C’est la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) qui gère le barrage de Savières selon la consigne d’exploitation fixée par l’État en 1985. Cette consigne fait réfé- rence à une convention signée en 1978 par l’État, la CNR et l’agglomération aixoise (CALB). Le niveau du lac est régulé sur deux cotes planchers : 231,50 m en été et 231,20 m le reste de l’année. En période de crue, rien n’est changé et le niveau du lac monte comme avant la régulation. La consigne d’exploitation du barrage de Savières (photo 2) prévoit qu’en cas de sécheresse, si les apports du bassin versant du lac ne sont pas suffisants pour maintenir le lac à son niveau plancher, la CNR doit introduire de l’eau du Rhône dans le lac. Cela s’est produit durant l’été 2003 où un débit de 15 m3/s a été prélevé sur le fleuve pendant 3 semaines. Sans cet apport, le lac aurait baissé de 1 m, comme en 1962, 1964, 1972, 1976 et 1978.
Lac d’Annecy
Selon le règlement de gestion, établi en 1876 et toujours en vigueur, l’État confie à la Ville d’Annecy la manœuvre des vannes sur le Thiou (photo 3). Le lac doit être maintenu au plus près de son niveau légal de retenue, qui correspond à une altitude précise (446,97 m IGN69, soit une graduation de 0,80 à l’échelle de lecture du Pont de la Halle à Annecy). Si les fluctuations du plan d’eau avant 1965 étaient encore marquées, le contrôle est désormais beaucoup plus efficace et donc le niveau beaucoup plus constant. L’amplitude entre le printemps (forte pluviométrie et fonte des neiges) et la fin de l’été (étiage naturel) ne dépasse généralement pas une dizaine de centimètres. De forts épisodes pluvieux peuvent toutefois faire monter ponctuellement le lac de 20 à 25 cm sur quelques jours, avant retour à la normale.
Lac d’Aiguebelette
C’est EDF qui exploite l’ouvrage de régulation en s’efforçant, par une gestion anticipée, d’atteindre et de maintenir le niveau du lac autour de valeurs cibles, sous réserve des incidents d’exploitation ou des aléas climatiques. Ces valeurs cibles ont été établies en concertation avec l’État et les principaux usagers du lac. Elles constituent un compromis qui tient compte des enjeux et usages du plan d’eau, tels que la pratique des activités touristiques et sportives et la production d’électricité. En période de fortes précipitations, EDF anticipe la montée du lac en déstockant l’eau et prévient ainsi l’inondation des infrastructures riveraines. En fin d’été, des phases d’abaissement sont prévues pour exonder les zones littorales, favorables aux roselières aquatiques. La régulation tient compte également de la reproduction du poisson dans les zones de végétation littorale submergées.
Les bénéfices et les impacts de la régulation
La stabilité du niveau a amené une certaine facilité pour les usages : navigation, gestion des ports, loisirs… sur tous les lacs. Elle diminue les dégâts dus aux crues, garantit une profondeur d’eau suffisante tout au long de l’année et facilite la navigation. En revanche, les impacts environnementaux ont été conséquents, même s’ils n’ont pas été immédiats. La régulation du niveau des lacs entraîne :
- une réduction des surfaces exondées en zone littorale ;
- une absence de développement horizontal et une perte de germination pour les roselières ;
- une absence de dépollution des sédiments par oxydation.
Un niveau constant concentre l’énergie des vagues toujours sur une même zone, fragilisant les roseaux à leur base du fait de l’érosion, et en hauteur du fait de l’accumulation de flottants. Les feuilles, tiges mortes et débris divers s’accumulent et ne sont pas dispersés. La qualité des sédiments proches des rives diminue. Le CISALB a en projet d’introduire une baisse de 40 cm tous les 4 ans à l’automne, pour retrouver un marnage proche des conditions naturelles. Au SILA, une réflexion est en cours pour évaluer la possibilité de réintroduire des fluctuations plus importantes des niveaux, en croisant bénéfices écologiques et intérêts socio-économiques. Ce travail permet également d’aborder les impacts prévisibles des changements climatiques. La régulation a en effet ses limites, et en cas de sécheresse importante (ex. 2003, 2009), le niveau du lac ne peut pas être maintenu constant et diminue, impactant les usages habituels du plan d’eau et de ses rives. Des réflexions similaires sont en cours au lac d’Aiguebelette, dans le souci de maintenir l’équilibre biologique du lac.
Ce qu’il faut retenir
Si la régulation du niveau des lacs, cadrée par les différents acteurs, a permis une certaine conciliation des usages, elle rencontre des limites qui nécessitent d’être repensées dans un contexte de changement climatique afin de garantir les principaux usages et veiller à un bon fonctionnement biologique des lacs.
Les niveaux exceptionnels atteints par les lacs depuis leur régulation
Même régulés, les lacs sont tout de même confrontés aux crues et aux sécheresses, mais leur ré- ponse peut différer. Le lac du Bourget peut monter de plus de 2,50 m (crue de février 1990), tandis que les 3 autres ne montent guère de plus de 0,70 m. Ceci s’explique principalement par le fait que le lac du Bourget « accompagne » le Rhône qui est tout proche et joue un rôle de champ d’expansion de la crue du fleuve, en plus des apports en eau issus de son propre bassin versant. En étiage, les situations s’inversent : le Rhône peut alimenter le lac du Bourget via le canal de Savières, ce qui limite très fortement la baisse du niveau du lac. Les autres lacs, qui ne bénéficient pas de ce type de fonctionnement, peuvent descendre de plus ou moins 0,50 m en cas de situation exceptionnelle.